La digitalisation des activités physiques et de loisirs sportifs : enjeux individuels et sociaux

Appel à contribution pour un numéro thématique de la revue Loisir & Société
Publication en 2022
Coordination du numéro : Gonzalo Marchant, Claire Perrin, Bastien Soulé et Raphaël Verchère Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport – Université Lyon 1)

Ce numéro thématique vise à rassembler des contributions éclairant les différentes facettes de la digitalisation à l’oeuvre dans le domaine du sport et de l’activité physique. Ces derniers sont envisagés au sens large des diverses mises en jeu corporelles inscrites dans des modalités de bien-être, de détente, de santé et/ou de loisir plus ou moins sérieux (n’excluant pas la recherche de performance). Par digitalisation, nous entendons la mise en chiffres des activités, puis la transformation de ces données via un traitement informatisé. Les questions soulevées vont cependant au-delà des data produites et des algorithmes. Sur fond d’hyper-connexion, de multiplication des réseaux sociaux, de tendance à l’automesure, à la gamification et au gouvernement des corps, les évolutions considérées dépassent la quantification de l’engagement corporel : elles touchent aussi à la circulation, au partage et à l’exploitation des données générées. Les mises en lien prenant appui sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), qu’elles soient inter-individuelles, communautaires ou régulées via une intervention professionnelle sont également centrales. Enfin, cette digitalisation a souvent pour corollaire une mise en récit, voire une mise en scène virtuelle de soi et des autres, de son corps et de ses compétences, qui emprunte aux codes de la réalité augmentée.
Ce projet éditorial a d’autant plus de sens que la mobilisation des TIC dans le domaine du sport et de l’activité physique n’est pas cantonnée aux usages experts visant l’optimisation de la performance. La sophistication des solutions high tech accompagne aussi le/la marcheu.se utilitaire, soucieux.se de se conformer quotidiennement aux préconisations de santé publique en matière d’activité physique ; le ou la malade chronique souhaitant mettre en oeuvre la prescription d’activité physique émanant de son médecin ; ou encore le ou la cycliste amateur.e contribuant, à travers une application communautaire, à la création d’une émulation entre pairs technophiles. Parmi bien d’autres, ces utilisations ordinaires des possibilités et fonctionnalités offertes par la digitalisation figurent au coeur du projet, qui délaisse à l’inverse les mobilisations d’outils numériques dans le sport de haut-niveau.
De plus en plus systématiquement embarquées, gérées de manière individuelle sinon autonome, ces « solutions » combinent des fonctions tout en promettant simplicité d’utilisation et circulation fluide des données. La publicité instantanée des data et des analyses auxquelles elles se prêtent est non seulement proposée, mais largement encouragée au sein de communautés d’utilisateurs incités à dévoiler leur vie physique. Objectiver son activité physique, la déroutiniser, l’afficher et s’encourager
passent par ce type d’application pour un nombre grandissant de sportifs lambda, bien au-delà du cercle des athlètes confirmés et des injonctions provenant d’un entraîneur ou d’un enseignant. Ces applications sont présentées par leurs promoteurs comme une source d’amélioration de la connaissance de soi par les chiffres, de réduction des risques par le contrôle de ses constantes vitales,
et de soutien de la motivation particulièrement efficace, qu’il s’agisse de « se mettre au sport », de s’engager régulièrement dans une activité physique, de perdre du poids, de rationaliser sa pratique, ou encore de viser un perfectionnement technique afin d’accroître ses performances.
Les propositions pourront aborder l’architecture et les effets pluriels des dispositifs communautaires, l’utilisation d’objets connectés et/ou d’applications mobiles de sport ou d’activité physique par différents publics : sportifs réguliers ou occasionnels, sédentaires en reprise d’activité, personnes atteintes de maladie chronique, résidents isolés au sein d’institutions ou patients confinés, etc.[[Il serait également pertinent d’observer les effets du confinement lié à la pandémie de Covid-19 sur les usages de ces dispositifs.]] Elles pourront aussi porter sur les promesses des dispositifs en question, les motivations exprimées par les utilisateurs (qu’ils soient prescripteurs ou pratiquants), leurs usages et appropriations plurielles (en fonction, notamment, du genre, de l’âge, des PCS, du vécu athlétique, etc.) ou encore le type de connaissances qui circulent et la nature des mises en relation par leur intermédiaire. Sans occulter les cas d’abandon, d’utilisation irrégulière, d’addiction ou de mise à distance de ces dispositifs, dont on sait qu’ils sont fréquents et méritent une attention particulière. Enfin, le devenir des données sur l’activité des utilisateurs de dispositifs digitaux pourra faire l’objet d’analyses. La circulation des data et les formes de création de valeur inscrites dans ce qu’il est convenu d’appeler l’économie digitale soulèvent en effet plusieurs zones d’ombre : consentement relatif à l’acquisition de données personnelles, effectivité des régulations (non-cession, dé-identification), transparence quant à l’utilisation des data, propriété des données, accès à ses propres données et portabilité digitale, etc. (Koizumi, 2019). Par ailleurs, les possibilités de tracking soulèvent d’autres questions sensibles, liés notamment au cyber-harcèlement.
L’intention est de se pencher sur ces innovations, de décrypter leurs effets en adoptant un regard détaché de la fascination technophile et de la rhétorique de l’empowerment. En effet, les perspectives offertes par ces dispositifs en termes de santé publique, de ludification et de lutte contre la sédentarité sont tangibles. Toutefois, cette reconnaissance ne peut s’exonérer d’une étude attentive de leurs
usages pluriels, de leurs limites et des enjeux systémiques qu’ils soulèvent. Il importe par conséquent de ne pas céder au solutionnisme technologique (Morozov, 2013), quand bien même le numérique bénéficie tout particulièrement de l’emballement et de la séduction que suscitent les nouvelles technologies, comme levier évident et presque providentiel de progrès (Oki, 2019). A ce titre, les contributions abordant les conséquences inattendues, voire les effets pervers et la « face cachée » de la digitalisation sont également les bienvenues.
De même, le caractère radical de l’évolution décrite pourra être remis en question : augure-t-elle d’un nouvel âge de la pratique sportive et de l’activité physique ? L’intégration de nouvelles technologies agit-elle comme une « onde de choc » susceptible de bouleverser les manières de s’adonner à une activité physique ou sportive ? Des transformations semblent à l’oeuvre, mais l’euphorie descriptive pousse régulièrement à faire signifier aux changements observés plus qu’ils ne disent réellement (Passeron, 1987). Quelle est leur profondeur ? Sans nier les changements, il convient d’adopter une posture prudente par rapport aux effets induits en matière d’engagement dans une activité physique.
Le présent appel à contribution cible des articles de recherche ancrés dans des travaux empiriques, basés sur des études de terrain, mais aussi des réflexions théoriques ou méthodologiques originales. La focalisation énoncée en introduction exclut a priori le sport pratiqué par d’autres, pour des spectateurs dont on cherche à optimiser l’expérience et la satisfaction ; de même, ne sont pas couvertes dans cet appel les activités de e-sport s’apparentant davantage au jeu vidéo qu’à l’expérience corporelle, telle que décrite ci-dessus. Néanmoins, des mises en perspective problématisant la question de la frontière entre ces secteurs et ceux couverts prioritairement dans lecadre de cet appel pourront être considérées.
Enfin, conformément au positionnement de la revue, les contributions provenant de plusieurs disciplines, ainsi qu’à l’interface de celles-ci, sont les bienvenues : sociologie, histoire, psychologie, anthropologie, philosophie, épistémologie, sciences de l’information et de la communication, sciences de gestion, géographie.

Date limite de réception des propositions, au format de la revue Loisir & Société : 30 avril 2021.
Pour toute soumission ou question, s’adresser à Bastien Soulé : bastien.soule@univ-lyon1.fr

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