APPEL A CONTRIBUTIONS – Revue Sciences Sociales et Sport

APPEL A CONTRIBUTIONS

Revue Sciences Sociales et Sport
Faire circuler les savoirs sociologiques

Numéro thématique coordonné par Oumaya Hidri Neys et Williams Nuytens

Dans un cours daté du 14 février 1991 au Collège de France, Pierre Bourdieu [[BOURDIEU, Pierre. 2012. Sur l’Etat. Cours au Collège de France 1989-1992. Cours du 14 février 1991, Paris, Seuil, p. 279-299.]] définissait la sociologie comme une science évidemment ésotérique mais qui semble exotérique. Or, comme dans tous les champs disciplinaires où l’accumulation des connaissances prévaut, les savoirs sociologiques deviennent toujours plus spécialisés et de fait, toujours plus difficiles d’accès pour les non-initiés. On peut par conséquent, et malheureusement, constater comme une malédiction : il faut que les savoirs fabriqués soient scientifiques, rapidement compréhensibles, aisément utilisables. Cette nécessité contradictoire, repérable dans les activités des sociologues du sport, provoque une contingence qui renvoie à la fermeture des savoirs ou si l’on préfère, à une circulation empêchée. Cela est d’autant plus gênant lorsque les scientifiques produisent leurs connaissances à partir de savoirs profanes analysés, interprétés, systématisés.

Ce numéro thématique de la revue Sciences Sociales et Sport invite les chercheur.se.s à soumettre une proposition pour penser cette circulation, l’interroger, la rendre toujours plus effective. Cet appel à contributions poursuit ainsi les débats entamés lors du 9ème congrès international de la Société de Sociologie du Sport de Langue Française qui s’est tenu en juin 2017 à Arras. Plusieurs questions peuvent être traitées : Comment tenir le cap de savoirs scientifiques exigeants mais relativement abordables pour des non-spécialistes ? Quels sont les mécanismes qui rendent compte des fortunes et des infortunes en matière de diffusion des connaissances ? Qu’est-ce qui contrarie ou facilite leur circulation ? Les propositions d’articles discutant ces questions à partir d’approches réflexives alimentées empiriquement seront appréciées, en particulier si elles renvoient aux problématiques suivantes.

L’engagement dans une réflexion consacrée à la circulation des savoirs s’alimente en effet à plusieurs sources. Une telle interrogation relève d’abord des identités individuelles des sociologues. On songe ici à leurs parcours biographiques individuels, au poids des formations initiales, à des convictions personnelles fondées sur des expériences heureuses ou non, etc. En tentant de comprendre et d’expliquer son cheminement intellectuel, le.la sociologue, par son auto-analyse[[ BOURDIEU, Pierre. 2004. Esquisse pour une auto-analyse. Paris, Raison d’agir ; GRIGNON, Claude. 2002. « Comment peut-on être sociologue ? », Revue européenne des sciences sociales, vol. XL, n° 123, p. 181-225.]], pourrait expliquer pourquoi la question de la circulation des savoirs de sociologie peut être jugée incongrue ici, déterminante là. L’une ou l’autre de ces postures, dès l’instant où elle est empiriquement étayée, mérite d’être proposée à la discussion dans ce numéro. On comprend ensuite que la réflexion renvoie aussi à l’identité parfois malmenée de nos objets ou champs disciplinaires. Ainsi, celles et ceux qui font la sociologie du sport ont raison de prendre conscience qu’il faut défendre la place de cette discipline dans un espace universitaire pluridisciplinaire. Il y règne en effet des procédures de hiérarchisation, de légitimation et de cotation susceptibles de menacer l’avenir de nos savoirs. Il faut alors se réjouir que chacun.e travaille dans le but de les rendre plus visibles, plus diffusés. Mais nous pouvons faire davantage en réfléchissant à ce que deviennent ces savoirs ou à ce qu’ils pourraient devenir dans une société où règnent une inflation des connaissances, des déformations voire un réductionnisme potentiellement fatal. En proposant de revenir sur les connaissances scientifiques, en discutant de leurs formes, en examinant leurs modes d’élaboration (y compris ceux qui intègrent l’usage de savoirs profanes), en analysant leurs circulations et de manière inductive, leurs usages, les propositions pourraient s’inscrire dans le sillage de questionnements disciplinaires menés depuis une quinzaine d’années par les sociologues d’autres champs[[HIRSCHHORN, Monique. 2014. « Est-il vraiment utile de s’interroger sur l’utilité de la sociologie ? Plus de dix ans de débats », Revue européenne des sciences sociales, vol. 52, n° 2, p. 221-234.]]. Mais à quoi cela sert-il ? La littérature propose déjà plusieurs réponses. Cela aboutit à une systématisation des normes de scientificité de la sociologie[[DEMAZIERE, Didier. 2012. « Les règles de la production sociologique », SociologieS, [En ligne].]], à en discuter la spécialisation[[BEAUD, Stéphane. 2012. « La sociologie française au milieu du gué », SociologieS, [En ligne].]], à se désoler de son mauvais état de santé[[BOUDON, Raymond. 2002. « A quoi sert la sociologie ? », Cités, n° 10, p. 131-154.]], à déplorer une partition entre un académisme radical[[LAPEYRONNIE, Didier. 2004. « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », Revue française de sociologie, vol. 45, n° 4, p. 621-651.]] et une sociologie de service[[HIRSCHHORN, Monique. 2014. Ibidem.]], à stigmatiser des objets ou des intentions de recherche au profit d’autres positionnements.

Nous souhaitons plutôt que les propositions concernent la place de la sociologie du sport dans la société, et pas seulement dans l’espace académique. Comment faire pour que les « acteurs » des différents univers sociaux concernés par nos savoirs accèdent, mieux ou autrement, à ces derniers et en saisissent la signification[[DUBET, François. 2002. « Pourquoi ne croit-on pas les sociologues ? », Education et sociétés, vol. 9, n° 1, p. 13-25.]] ? Que deviennent-ils quand ces acteurs en prennent connaissance ? Comment améliorer la circulation des savoirs[[LATOUR, Bruno. 2005. La science en action, Paris, La Découverte.]] ? Comment multiplier et stabiliser les « zones d’intéressement » reliant les chercheurs à leurs partenaires potentiels (enseignants, élèves ou étudiants, éducateurs sportifs, décideurs politiques qu’ils soient locaux ou nationaux, responsables d’entreprises, etc.) ? Jusqu’à quel point l’usage de savoirs profanes par les sociologues facilite la circulation des savoirs qu’ils fabriquent ? Comment rendre notre sociologie plus audible[[CASTEL, Robert. 2002. « La sociologie et la réponse à la demande sociale », in LAHIRE, Bernard. (éd.). A quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte/Syros.]], plus visible[[FOSSIER, Arnaud ; GARDELLA, Edouard. 2009. « Avant propos. Les sciences humaines au miroir de leurs publics », Tracés, n° 1, p. 5-18.]], plus pertinente[[BECKER, Howard Saul. 2012. « Rendre la sociologie pertinente pour la société », SociologieS, [En ligne].]] ? Ne l’est-elle pas déjà suffisamment ? Finalement, doit-on prendre en charge la vocation publique[[BURAWOY, Michael. 2005. “2004 American Sociological Association Presidential Address: For public sociology”, American Sociological Review, vol. 70, n° 1, p. 4-28.]] de la sociologie du sport ? Et dans l’affirmative, comment font les chercheurs ? Que ne font-ils pas ? Que faudrait-il qu’ils fassent ? Dit autrement, pourquoi et comment diffuser, traduire et faire comprendre nos savoirs ? Ce faisant, les publications de ce numéro thématique doivent s’attaquer ouvertement à la délicate question de l’engagement de la discipline dans le siècle[[MONCHATRE, Sylvie. 2010. « Du métier de sociologue au « genre sociologique » : réflexions sur la professionnalisation », Sociologies pratiques, n° 21, p. 137-147.]].

Trois angles d’attaque seront particulièrement appréciés :

  • Le premier examinerait la dépendance entre la circulation des savoirs scientifiques (y compris lorsqu’ils sont bâtis à partir de savoirs profanes) et l’objet d’une recherche, de son espace d’appropriation. On attend ici des propositions associées à des recherches situées mettant en exergue les spécificités des objets enquêtés (facilitants ou non[[MARTUCELLI, Danilo. 2002. « La production des connaissances sociologiques et leur appropriation par les acteurs », Education et sociétés, vol. 9, n° 1, p. 27-38.]]), les attentes des acteurs (plus ou moins fortes) mais aussi les différentes formes de présentation et de vulgarisation des savoirs[[TRUC, Gérôme. 2004. « Quand les sociologues font leur cinéma. Analyse de « La sociologie est un sport de combat » et « Le Parcours d’un sociologue » », A contrario, n° 1, p. 44-66.]].
  • Le deuxième reviendrait sur l’influence du/de la chercheur.se et de ses choix, c’est à dire sur une circulation comme produit de ce qui relie le/la chercheur.se à son terrain, et donc plus généralement de son protocole de recherche et de son engagement. Les propositions s’inscrivant dans cet axe thématique questionneront les liens entre ce que le/la chercheur.se raconte ou non de ses expériences d’enquête et le sens de ses résultats : Comment ce que le/la chercheur.se négocie, doit à ses « relais », ose faire ou ne pas faire[[LAHIRE, Bernard. 2001. L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan.]] ? Qu’en est-il de l’indépendance du/de la chercheur.se à l’égard de ses commanditaires[[DEMAILLY, Lise. 2013. « Le sociologue, l’évaluation et les pièges peut-être évitables », Socio-logos, [En ligne] ; PIRIOU, Odile. 2006. La face cachée de la sociologie. A la découverte des sociologues praticiens, Paris, Belin.]], de son engagement moral et de son rapport intime à l’objet ?
  • Le dernier angle d’attaque pourrait relier la circulation des savoirs à la nature de ces savoirs. En effet, il reste probable que certains résultats dérangent. Quels sont ces résultats qui embarrassent et surtout, pour quelles raisons ? Comment le/la chercheur.se procède-t-il/elle pour les faire passer malgré tout ? Comment s’accommode-t-il/elle de la censure ? A contrario, quels sont les résultats qui rencontrent une circulation aisée ? Et pourquoi est-ce le cas ? Dans quelle mesure cela provient-il de l’usage fait par les sociologues de savoirs profanes ?

La date limite des soumissions de proposition est fixée au 20 octobre 2018. Nous invitons les auteurs à respecter les recommandations (orientations de la revue, présentation des manuscrits, etc.) de la revue Sciences sociales et Sport disponibles au lien suivant : http://3slf.fr/spip.php?article18#4

Les propositions sont à envoyer conjointement à :
Williams NUYTENS : williams.nuytens@univ-artois.fr
Oumaya HIDRI NEYS : oumaya.neys@univ-lille2.fr

Vous pourriez également aimer...

Laisser un commentaire