DÉCLASSER PAR CORPS ?
Classements, déclassements sociaux et affects
Réseau thématique 17 : Corps et sciences sociales
(anciennement : Gestion politique du corps et des populations)
APPEL A COMMUNICATION DU RT 17
Remise de propositions avant le 15 février 2019 sur le site de l’AFS
http://afs-socio.fr/rt/rt17/
Argumentaire
Gentrification des centres de métropoles et relégation systématique des plus précaires (grâce à un mobilier urbain spécifique, aux entreprises de « ramassage », et aux interdits de mendicité), homogénéité sociale croissante dans les écoles privées, disparition des rares occasions de socialisation à la mixité sociale, qu’elles soient précoces (colonies de vacances et service militaire) ou périodiques (remplacement des salles d’attente dans les gares par des « salons grands voyageurs » réservés, relégation des trains Ouigo dans des gares ad hoc), voire regroupement formel des plus dotés dans des pays-refuges fiscaux : depuis les années 1980, divers travaux ont mis en évidence l’accentuation de la « sécession des riches », – pour parler comme Jérôme Fourquet – et d’une relégation géographique et sociale de toute une partie de la population. L’invisibilisation des handicapés ou la valorisation citadine d’un « jeunisme » festif, marginalise inactifs, malades et vieux, et a intensifié au coeur de nos cités cette mise en ordre sociale.
Par « classement » et « déclassement » – le thème proposé cette année à la réflexion des congressistes de l’AFS – on entendra donc ici essentiellement : mise à l’écart, ségrégation, relégation, atténuation de la mixité sociale. Or, conformément à la vocation du RT 17, nous voudrions penser cette réalité par « corps ».
A l’image des nouveaux 4×4 plaçant leurs propriétaires en position de surplomb protégée par des verres fumés, on souhaite mettre à jour toutes les traductions physiques et/ou spatiales du reflux contemporain de la mixité sociale et de la mise à distance d’autrui. C’est se pencher sur les formes de ce « classement pratique » que constitue la cristallisation dans des corps, des lieux et des choses de la tendance au séparatisme social. Quelles sont les modalités contemporaines de ce classement par corps ?
Les travaux précédents du RT consacrés au dégoût ressenti par les professionnels du soin et du sanitaire nous ont déjà permis de constater que se sont notamment intensifiés les sentiments d’intolérance aux plus pauvres et aux corps aux états-limites : une intensification de ce « classement en pratique » que constitue la répugnance à les côtoyer ou à les administrer. Séparation topographique des cadres à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine, mise en mobilité systématique de certains fonctionnaires ou assimilés (gendarmes, postiers), tendance des instituteurs à s’écarter des lieux d’exercice de leur métier : que ces tendances « mixophobes » soient encouragées par les institutions ou non, qu’elles soient d’origine politique ou indigène, il importe aujourd’hui de les mettre en lumière tant le sentiment d’abandon social de certains est devenu puissant.
Une relégation sociale, entre aveu et euphémisation.
Notre hypothèse est que cette mise à distance sociale, obligée de s’euphémiser en contexte démocratique, tend à rester le plus souvent implicite en s’imposant silencieusement dans les corps, les espaces et les choses. La question que nous nous posons est à double visée. Elle a une ambition politique : il s’agit de mettre au jour toute la diversité possible des postures et des dispositifs utiles aux classements comme évitement social. Elle a aussi une ambition épistémologique : le corps demeure-t-il aujourd’hui un instrument de lecture particulièrement heuristique à cet égard ? Si oui, dans quelle mesure cela tient-il à cette nécessité, dont nous faisons l’hypothèse, d’euphémisation de la ségrégation sociale et de la relégation dans un
contexte démocratique qui, sur le papier, vise l’égalisation des conditions ?
Nous serions particulièrement intéressés par des terrains portant sur le sanitaire et le social, mais cette option ne se veut pas limitative. L’intérêt de ce questionnement est qu’il permettrait de réunir sur ce thème de la mixité à la fois des sociologues de l’urbain, des professions, du corps et de la santé. Au thème du refus de la mixité de classe peut être joint celui, plus large, des « renfermements communautaristes » contemporains.
Classer par corps : les écarts au corps « légitime »
Le point qui suit est beaucoup mieux inventorié. On le sait depuis longtemps, les écarts sociaux se traduisent dans des écarts aux modèles corporels légitimes. Rien de plus redoutablement « classant » que cette sociologie spontanée qui permet de soupçonner la position de chacun dans l’espace social à l’aune de son hexis corporelle, de la façon dont le corps est placé, tenu, vêtu, « esthétisé ». Produit pourtant d’une construction historique, l’idéal que représente le corps des « dominants » s’impose avec autorité même à ceux dont toute l’existence sociale produit des obstacles à son accession. Cet idéal suscite aussi ses révoltes plus ou moins explicites : comme chez ces femmes qui osent se déclarer publiquement grosses ou poilues, et ceux qui vantent leur consommation de « junk food », celle, de surcroit, qu’on mange avec les mains… Où en est-on aujourd’hui de ces batailles
sociales larvaires autour du corps légitime ?
Des affects liés au déclassement ?
Une dernière voie d’entrée vers ce sujet pourrait être constituée par l’analyse de l’objectivation possible, de ce « classement pratique » par ceux qui en font l’objet et des types de réactions que cela déclenche. Lucidité et fatalisme moroses, mais aussi résistance organisée, rire, colère, mépris, dégoût et haine dirigées contre les « élites », les « gros », les agents de l’État, les professionnels du soin, qui sont dans la proximité avec ces populations ?
Quelle part joue au juste le déclassement social, réel ou craint, dans la levée d’auto-contrôles jusque-là intériorisés et surveillés ? Assisterait-on de ce point de vue à quelque chose comme des « somatisations » induites par le fait de ne plus être ou de ne plus se sentir à sa place et la crainte de perdre pied socialement ? Quels sont les affects – soit la part « maudite », « maldite » – générés par cette insécurité spécifiquement sociale qu’est la peur de la chute et du déclassement ?
Dans un contexte politique où ces affects sociaux se sont mis à s’exprimer plus durement, et où se développent par ailleurs – certes non sans de très fortes errances épistémologiques – une histoire, une sociologie, une anthropologie, voire une science politique des émotions, il est très tentant d’essayer de les objectiver. Là encore un questionnement politique ne permet pas de faire l’économie d’un questionnement épistémologique : car la gageure est énorme tant on avance là en terrain brumeux. Les affects – le terme, parce que plus « somatique », sera en effet préféré ici à celui d’ « émotions » – ont l’inconvénient pour le chercheur d’être peu réfléchis, et par ailleurs fortement polysémiques : tel rire, par exemple, exprime-t-il une distance sociale, un refus de fraterniser ou bien intègre-t-il au contraire rieurs et moqués dans le partage d’une même communauté ? Sans l’explicitation des affects par ceux qui les éprouvent, sans attention extrême aux « contextes » qui leur donnent sens, et surtout aux conditions de recueil de données, leur signification demeure indécidable, ou pour le moins difficile. Il conviendra donc d’être ici très prudents.
Les travaux attendus s’intéresseront donc à toutes les modalités par « corps » de mise à l’écart, de ségrégation, de relégation, d’atteinte à la mixité sociale d’une part, et de l’autre aux éventuels affects que cela suscite. Nous préférerions que ces deux directions de recherche demeurent séparées si possible, dans des propositions différentes, afin de donner à chacune la possibilité de se déployer de manière un peu plus systématique, et avec méthode.
Envoi des propositions de communication
Les propositions de communication (3000 signes maximum, espaces compris, hors bibliographie) présenteront l’objet de la recherche, le questionnement et la problématique, le terrain, les catégories et la méthodologie utilisée pour le recueil des données (ou à défaut, les corpus systématiques de sources si ce travail n’est pas lié à un terrain).
L’AFS a mis en place une procédure centralisée de soumission des propositions de communication sur le site. Les propositions de communication (3000 signes maximum) devront donc être envoyées jusqu’au 15 février 2019 sur le site de l’AFS (http://afssocio.fr/rt/rt17/), en indiquant éventuellement le ou les axes au(x)quel(s) les propositions se rattachent. Elles présenteront l’objet de la recherche, le questionnement et la problématique, le terrain, les catégories et la méthodologie utilisée pour le recueil des données (ou à défaut, les corpus systématiques de sources si ce travail n’est pas lié à un terrain) et quelques références bibliographiques.
Les propositions comprendront les éléments suivants :
• Nom, prénom du/des auteur-e-s
• Fonction et institution de rattachement
• Adresse mail
• Titre de la communication
• Proposition de communication (3000 signes maximum espaces compris, hors bibliographie)
Les propositions devront impérativement être déposées sur le site de l’AFS (http://afssocio.fr/rt/rt17/) au plus tard jusqu’au 15 février 2019. Vous recevrez un accusé de réception dans les jours qui suivront.
En cas de problème ou de question, merci de nous contacter aux adresses suivantes
(dominique.memmi@cnrs.fr, gilles.raveneau@mae.u-paris10.fr, emmanuel.taieb@sciencespo-lyon.fr) en indiquant en objet de votre message : AFS-RT17 congrès 2019.
Les réponses seront transmises par courriel mi-mars et les interventions sélectionnées seront inscrites dans le programme que nous vous communiquerons fin avril. Les propositions seront sélectionnées en fonction de leur qualité scientifique et de l’originalité du matériau empirique mobilisé.
Un texte de présentation des communications acceptées (5 pages environ), devra ensuite être envoyé avant le 10 juillet 2019 pour permettre aux discutant-e-s de préparer les sessions.
Pour le bureau du RT 17 :
Dominique Memmi (CNRS – CSU), dominique.memmi@cnrs.fr
Gilles Raveneau (Université de Paris Nanterre, LESC), gilles.raveneau@mae.u-paris10.fr
Emmanuel Taïeb (Sciences Po Lyon, Triangle), emmanuel.taieb@sciencespo-lyon.fr