Appel à contribution pour un dossier spécial coordonné par Julien Fuchs et Gilles Brougère à paraître dans la Revue Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle
Présentation générale du dossier
Cette proposition de dossier prend pour objet les « classes de découverte » (telles qu’elles sont définies institutionnellement) ou « transplantées » (comme elles sont également souvent dénommées). Classes de mer, classes de neige, classes de nature, classes d’environnement, etc. : ce dossier vise à réunir des contributions traitant des classes de découverte dans leur diversité. Il s’adresse ainsi à des chercheurs spécialistes des questions liées à l’enseignement transplanté, à l’utilisation du voyage, du dépaysement, du tourisme dans leur dimension scolaire ou éducative. Les articles pourront porter sur des séjours résidentiels équivalents, c’est-à-dire de plusieurs jours, au sein du système scolaire français mais aussi des systèmes scolaires étrangers. Il s’agit du déplacement dans un tiers lieu d’une classe entière pour développer, entre autres, des activités en relation avec le lieu, quel que soit le nom qu’on leur donne.
Les articles envisageront la manière dont ces classes de découverte (ou les dispositifs apparentés) contribuent aux apprentissages, au sens le plus large intégrant ce qui relève de la socialisation. Ils peuvent provenir de toutes disciplines (histoire, géographie, sociologie, anthropologie, etc.) et s’appuyer sur des méthodologies variées (observations, entretiens, statistiques, productions cartographiques, travail sur archives, etc.). Ils auront pour but d’éclairer l’impact éducatif de ces classes, leur portée sociale, culturelle et économique en regard des enjeux sociaux et éducatifs contemporains (éducation à la nature, à la solidarité, etc.).
Si les travaux portant sur les classes transplantées demeurent encore peu nombreux, ceux-ci se développent toutefois aujourd’hui, à la faveur de la revitalisation d’un mouvement pédagogique visant la sensibilisation des enfants à leur environnement extérieur. La mise en perspective d’études menées sur ce type d’initiative paraît ainsi intéressante à envisager, non seulement pour appréhender par la comparaison l’efficacité de ces dispositifs aux logiques pédagogiques singulières, mais aussi pour essayer d’interroger la notion-même de « classe de découverte » ou « transplantée »[[On notera ici que la définition officielle, circonscrite par une circulaire du 5 janvier 2005, indique que ces classes de découverte correspondent à des séjours d’une durée égale ou supérieure à cinq jours ou quatre nuitées « permettant de s’extraire de façon significative du contexte et de l’espace habituels de la classe [constituant ainsi], pour les élèves, un réel dépaysement et un moment privilégié d’apprentissage de la vie collective que chacun devrait connaître au moins une fois au cours de sa scolarité ». En l’état, c’est donc davantage la durée du séjour plutôt que son contenu (activités, etc.) qui paraît définir, dans les textes, une telle classe, ce qui est à rapprocher des définitions touristiques et marchandes des séjours. On voit les limites d’une telle définition, les promoteurs et acteurs de ces dispositifs s’accordant tous à reconnaître avant tout leur profonde dimension éducative et sociale.]], ainsi que des dénominations comparables utilisées dans d’autres pays.
Ainsi, ce projet de dossier s’entend comme une façon de croiser des regards de chercheurs autour de la pratique des classes transplantées, et de faire dialoguer les questions éducatives, sociales, touristiques, sportives et de développement territorial qui traversent ces dispositifs.
Thématique et problématique envisagée
Ce dossier rassemblera des contributions portant donc sur des dispositifs scolaires caractérisés par un séjour prolongé hors du contexte habituel de classe (et, de fait, du contexte familial), que ceux-ci soient pensés autour d’un lien central avec la nature (classes vertes, classes de neige, classes de mer, etc.) ou que le « dépaysement » proposé soit autre (classes de découverte urbaine, etc.). Elles envisageront les classes transplantées comme des expériences pédagogiques, mais aussi comme des dispositifs d’éducation socio-touristique au voyage, à l’environnement, à l’altérité et aux différences culturelles ou encore comme des expériences vécues par les participants venant d’horizons divers (élèves, enseignants, accompagnateurs, animateurs et personnels des centres d’accueil).
« Partir pour apprendre, apprendre à partir » : tel est donc le principe de ces classes, dont les prémices remontent au milieu du XIXe siècle, et qui se structurent, en France dans les années 1950-1960 autour des classes de neige puis des classes de mer notamment, puisant dans le principe du tiers-temps pédagogique. La fréquentation de ces classes et la diversification de leurs formats et de leurs modalités n’ont cessé de croître jusqu’au milieu des années 1980, au cours desquels un élève sur deux partait en classe de découverte une fois au cours de sa scolarité, puis ont commencé à décliner au cours des années 1990 (en 1994-1995, environ 12 % des élèves du premier degré de plus de 4 ans sont partis avec leur classe et enseignant.e pour un séjour en dehors de l’école pendant cinq jours ou plus – Rapport DEPP, avril 1996), et cette baisse n’a cessé depuis de s’amplifier.
Si leur projet pédagogique fait consensus et qu’elles sont encore bien présentes dans les référents collectifs des professeurs, les classes transplantées restent paradoxalement mal connues. Elles sont pourtant reconnues et encouragées à nouveau en France par le Ministère de l’Éducation Nationale comme un dispositif éducatif efficace, donnant sens aux apprentissages scolaires et accompagnant une socialisation aux voyages encore profondément inégalitaire (Rapport Pavy, 2004). En mai 2018, le ministre de l’Éducation français, Jean-Michel Blanquer, déclarait : « Il faut aussi que les enfants renouent avec la nature. Je travaille au renouveau des classes vertes, de neige et de mer » (JDD, 19 mai 2018). En outre, leur enjeu économique est loin d’être négligeable : en 1995, leur chiffre d’affaires était estimé par le Secrétariat d’État au Tourisme à 305 millions d’€, générant près de 5 000 emplois et permettant l’amortissement des équipements touristiques, particulièrement en basse saison. En cela, les classes transplantées peuvent être considérées comme vitales par les professionnels du tourisme et des loisirs (Rapport Chauvin, 2008 ; Livre bleu du nautisme finistérien 2015-2020).
Si elles ont donc non seulement un intérêt pédagogique reconnu par une majorité d’enseignants, ainsi qu’un intérêt politique et socio-économique manifeste, ces classes éprouvent en même temps de plus en plus de difficultés à être organisées, entre contraintes réglementaires et sécuritaires fortes, complexification des montages budgétaires, désengagement de l’État, modifications des attentes des parents (et l’on peut craindre que la situation sanitaire dû au Covid-19 n’amplifie ces
difficultés). Si leur nombre et leur durée voire leur distance diminuent graduellement, les situations paraissent particulièrement contrastées. Absentes ou abandonnées parfois, les classes transplantées font par contre partie du fonctionnement ordinaire de certaines écoles, du fait de la conviction de leurs enseignants et des partenariats tissés depuis longtemps avec les collectivités locales ou avec certains centres, ce qui n’exclut pas d’importantes difficultés, tous les ans, à organiser ces séjours. Dans la région parisienne par exemple, classes de mer comme de neige constituent une priorité politique, même si toutes les écoles ne se saisissent pas de cette opportunité et que, là aussi, les configurations socio-économiques, les motivations des enseignants et des parents semblent des points-clés. Et qu’en est-il pour d’autres dispositifs ?
Contributions attendues
Dans ce contexte, les contributions attendues pourront s’orienter vers divers axes qui ne sont en rien exclusifs à d’autres aspects :
- Enjeux pédagogiques : Développement d’une pédagogie différente orientée vers la découverte et la pratique – Imaginaire de l’ailleurs – Le déplacement comme espace-temps éducatif – Pédagogie du plein air – Liens enfants-enseignants – apprentissages sociaux liés à la vie quotidienne commune et à la rencontre d’autres milieux –…
- Enjeux sociaux : Mixité – Confrontation des manières de vivre – Métiers – Approche intersectionnelle des inégalités dans cette socialisation au voyage (qu’elle soit de classe, de race ou de genre ou encore liées aux handicaps) –…
- Enjeux touristiques : Contribution des classes transplantées au développement touristique local – Éducation au voyage et à l’altérité – Retour d’enfants et d’adultes sur les lieux de classes –…
- Enjeux politiques : Développement territorial – Effet d’entraînement sur des territoires périphériques comme la montagne et certains littoraux –…
Échéancier prévisionnel
– 15 janvier 2021 : Envoi des textes d’intention (1 page présentant un titre, un résumé, des mots-clés, une courte bibliographie) aux coordonnateurs du numéro.
– 15 février 2021 : Retour des avis des coordonnateurs du numéro vers les auteurs au sujet de leurs textes d’intention.
– Mai 2021 : Retour des premières versions des articles finalisés (voir normes de rédaction).
– Juin à septembre 2021 : expertises et navettes entre coordonnateurs et auteurs.
– Octobre 2021 : envoi des textes à la revue pour expertises.
– Janvier 2022 : retour des expertises par la revue.
– Avril 2022 : reprise des textes par les auteurs et validation.
– Avril-Juin 2022 : publication du numéro.